Une suspension efface-t-elle les effets du dopage ? par Pierre-Jean Vazel, Le Monde.fr

Publié le par avchd-bruno

 

Sur le podium du 100 m dimanche à Londres, Yohan Blake, deuxième, et Justin Gatlin, troisième, ont tous deux connu une suspension pour dopage. Sur le podium du 100 m dimanche à Londres, Yohan Blake, deuxième, et Justin Gatlin, troisième, ont tous deux connu une suspension pour dopage. | AFP/JOHANNES EISELE

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Encore un peu de patience, les résultats définitifs des Jeux olympiques d'Athènes 2004 seront connus dans les prochains jours. Une centaine d'échantillons recueillis sur place ont été testés à nouveau avec des technologies qui n'existaient pas à l'époque, le code de l'Agence mondiale antidopage (AMA) permettant d'ouvrir une procédure disciplinaire jusqu'à huit ans après la date d'un contrôle. Cinq seraient positifs, ce qui déclencherait des suspensions rétroactives avec annulation des résultats et éventuellement restitution de médailles. Le Comité international olympique (CIO) souhaite adopter une nouvelle approche des sanctions en demandant une révision du code de l'AMA pour imposer une suspension de quatre ans à un plus grand nombre de cas. Avant l'ouverture des Jeux de Londres, le Tribunal arbitral du sport avait annulé la règle du CIO empêchant des athlètes convaincus de dopage de participer aux Jeux olympiques pour en protéger l'image.

La lutte antidopage dispose déjà d'un arsenal répressif à géométrie variable selon les sports et la gravité des faits reprochés. En prenant les exemples d'athlètes récemment sanctionnés, les peines vont de l'avertissement public à la suspension à vie, en passant par trois mois de bannissement des compétitions (comme le Jamaïcain Yohan Blake), six mois (la Jamaïcaine Shelly-Ann Fraser ou la Croate Sandra Perkovic), un an (la Britannique Christine Oruhuogu), deux ans (la Russe Darya Pishchalnikova), quatre ans (l'Américain Justin Gatlin), etc. Le point commun de ces athlètes : ils sont revenus de leur suspension aussi voire plus performants qu'avant, et sont tous montés sur le podium lors des quatre premières journées d'athlétisme à Londres...

 

Les défenseurs du "droit à la seconde chance" s'opposent à ceux qui avancent des arguments scientifiques à des suspensions plus longues voire définitives. Pendant combien de temps les athlètes bénéficient-ils des modifications physiologiques causées par la prise de substances interdites ? Le passeport biologique des athlètes (lire notre article sur le passeport biologique) présenté l'an dernier par l'IAAF doit servir à tracer sur le long terme ces changements, en comparant le profil hématologique et endocrinien des athlètes, pour détecter les effets d'un éventuel dopage sanguin (exemple EPO) ou hormonal (testostérone). Ces substances sont des "moyens de supports" de l'entraînement, comme les avaient pudiquement désignées les autorités de l'ex-RDA, visant à maximiser le développement des deux qualités physiques fondamentales. D'une part, la vitesse pour accélérer ses segments vers le sol (en sprint, haies et sauts) ou vers un engin (lancers). D'autre part l'endurance pour maintenir une vitesse spécifique de travail (courses longues, épreuves combinées).

 

Le fait récent que les spécialistes de vitesse et d'endurance utilisent les mêmes produits ne facilite pas la tâche des contrôleurs et analystes pour cibler les recherches. Depuis 2005 seulement, le sang des sprinteurs est analysé pour y détecter l'EPO. Les spécialistes du 100 m et 200 m que nous entraînions étaient surpris d'être testés pour la substance des fondeurs et des cyclistes. Ce n'est que plus tard que nous decouvrîmes que certains groupes d'entraînement effectuaient le triple du kilométrage que nous dédiions à l'entraînement aérobie. Pratique pour augmenter la capacité d'accumuler les séances de course, les courses en championnats et les championnats dans la saison... "Flo-Jo" (Florence Griffith-Joyner) n'affirmait-elle pas s'être entraînée comme une demi-fondeuse avant ses stupéfiants records du monde du 100 et 200 m ? Même les coureurs de demi-fond ont besoin de vitesse : la détentrice de l'incroyable record du monde du 1 500 m (3 min 50 s 46), Qu Yunxia, dont la gamme s'étendait jusqu'au marathon (2 h 24 m 32 s), avait aussi couru le 100 m en 12 s ! Ce n'est plus étonnant que d'autres se soient fait prendre au même produit (Stanozolol) que Ben Johnson, le vainqueur déchu du 100 m de Séoul.

 

Le professeur Hans Geyer, un responsable du laboratoire d'analyses de Cologne (lire notre article sur les coulisses du laboratoire antidopage de Cologne) nous expliquait que des laboratoires clandestins épluchent la littérature médicale et pharmaceutique pour trouver les dernières publications mettant en évidence l'efficacité de tel produit sur la vitesse ou l'endurance des souris. Ces molécules miracles sont ensuite détournées au profit de sportifs, avant tout test sanitaire et utilisation commerciale. Les effets à long terme du dopage sur la performance sont encore méconnus et controversés. L'amélioration de l'efficacité des propriétés mécaniques des tendons, la conversion de fibres musculaires lentes ou intermédiaires en fibres rapides, l'augmentation de la capacité cardio-pulmonaire ou de la densité osseuse dureraient au-delà des temps de suspension, et certains effets seraient même irréversibles. Ce qui donne des arguments aux défenseurs de la suspension à vie. En attendant, les athlètes à qui une seconde chance a été donnée ont su la saisir, puisqu'ils représentent à ce jour 12 % des médaillés à Londres. Mais pour avoir les résultats définitifs, rendez-vous en 2020 après la période de huit ans au-delà de laquelle on ne peut plus réécrire l'histoire.

 

Pierre-Jean Vazel, entraîneur de Christine Arron

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