Dopage : "Le football, champion du monde de l'omerta" (LeMonde.fr)

Publié le par avchd-bruno

LEMONDE.FR | 28.11.11 | 14h01 • Mis à jour le 28.11.11 | 16h19

 

Le footballeur belge Bertrand Crasson a confessé récemment avoir subi des perfusions lorsqu'il évoulait à Naples.

Le footballeur belge Bertrand Crasson a confessé récemment avoir subi des perfusions lorsqu'il évoluait à Naples.AFP/PEDRO UGARTE

 

Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport, auteur notamment de 33 vainqueurs [du Tour de France] face au dopage et Dopage dans le football, la loi du silence, dénonce l'incapacité de la lutte antidopage à identifier les tricheurs. Pour lui, Noah a eu raison de mettre en cause les Espagnols. Il dénonce également l'omerta qui règne dans le football

Qu'avez-vous pensé de la tribune de Yannick Noah ?

Noah a raison de mettre en cause les Espagnols. La présomption d'innocence, c'est du vent. On peut parler de suspicion légitime vu l'accumulation des affaires de dopage, révélées d'ailleurs la plupart du temps par la police. L'histoire nous rappelle qu'à chaque fois qu'un pays dominait le monde en sport, le dopage était derrière. On l'a vu avec la Chine en natation au début des années 1990, l'Italie en cyclisme, la Jamaïque récemment avec toute une ribambelle de sprinteurs qui se sont fait prendre par la patrouille, la Russie, les Etats-Unis… Dans cette sortie médiatique de l'ancien vainqueur de Roland-Garros, le problème n'est pas Noah ni les Espagnols, mais bien sûr l'incapacité de la lutte antidopage à identifier les tricheurs.

 

Comment renforcer les contrôles antidopage ?

 

Le problème numéro un de la lutte antidopage est le suivant : les sportifs prennent des substances que les laboratoires ne trouvent pas, et les laboratoires cherchent des substances que les sportifs ne prennent plus. Cela a toujours été le cas depuis que les premières législations sont apparues. David Douillet réagit politiquement en disant que nous avons les meilleurs laboratoires du monde, mais les Allemands vont dire la même chose, les Américains aussi. C'est chaque fois des coups d'annonce. L'autre problème est que la communauté scientifique est toujours en retard d'une guerre. Dans les années 1960, on considérait les anabolisants comme des vitamines.

 

Quel rôle doivent jouer les fédérations et les instances sportives internationales ?

 

Aucune fédération internationale ne peut apporter la preuve que les compétitions sont propres. Elles se glorifient à chaque fois du petit nombre de contrôles positifs pour en conclure qu'il n'y a pas de dopage dans le sport. C'est de l'hypocrisie. Cela fait cinquante ans que ce système fonctionne, mais ça ne peut pas marcher. Le monde du sport sanctionne les sportifs qui le font vivre. C'est comme si on demandait au renard de garder le poulailler.

 

Le public est-il plus tolérant dans certains pays ?

 

Le public est dépendant des médias. Pour moi, il n'y a pas d'opinion publique. L'affaire Contador est à ce titre exemplaire. Lorsqu'il est contrôlé positif au Tour de France 2010, la presse se gausse de son histoire de contamination alimentaire. Lorsque Contador se présente au départ de l'édition suivante, il est sifflé par la majorité du public. A l'inverse de tout le monde, je croyais à sa thèse pour des raisons précises. Il se fait prendre le jour de repos, alors que le produit qu'il prend, pour être efficace, doit être pris le jour de la compétition. Et s'il le prend pour avoir des effets anabolisants, cela doit être fait pendant plusieurs semaines. Quand cette thèse a été exposée, le public s'est tout de suite montré plus tolérant.

 

Qu'est-ce qui motive les sportifs à se doper ?

 

Pour certains, c'est l'argent qui a amené le dopage. C'est n'importe quoi. Ce qui fait vibrer les athlètes, c'est de gagner. C'est la compétition qui fait le dopage. Et le dopage existe dans toutes les activités humaines où l'individu peut se valoriser grâce à ses performances professionnelles, sociales, politiques, physique, mentales et même sexuelles. Les cols blancs, les politiques, les étudiants aux examens, … Même les aphrodisiaques, c'est du dopage sous la couette ! La triche est consubstantielle à l'homme.

 

Mais pour le cyclisme, par exemple, on met en avant les efforts surhumains demandés…

 

Ce n'est pas non plus la difficulté qui fait le dopage. Regardez le 100 mètres. Selon Victor Conte, le responsable du laboratoire Balco, pourvoyeur de dopants aux athlètes américains, la majorité des finalistes du 100 mètres aux Jeux olympiques de Sydney, en 2000, étaient "préparés". Pourtant, le 100 mètres, c'est au maximum "seulement" dix secondes d'effort intense. En vérité, le dopage étant efficace – différentes études scientifiques l'ont bien démontré – les soins spéciaux haute performance obligent tous les sportifs souhaitant réellement figurer dans les médias ou sur les affiches à se doper, même ceux qui, au départ de leur carrière, tournaient le dos au fléau.

 

La lutte antidopage est-elle plus laxiste aux Etats-Unis ?

 

La volonté de gagner exacerbe la prise de produits dopants. Ça remonte à loin. La guerre froide était une course aux armements de destruction massive, mais également une course aux armements biologiques pour dominer le monde sportif. C'était un moyen de montrer que le régime était plus performant que celui d'en face. Les Américains et les Russes, et les Allemands de l'Est par ricochet, étaient particulièrement préparés biologiquement. La prise de conscience aux États-Unis a toutefois déjà commencé. Désormais, il y a des contrôles plus stricts. L'affaire Balco a fait prendre conscience aux Américains qu'ils n'étaient pas toujours les plus forts pour des raisons uniquement sportives. Ça évolue lentement, mais ça évolue.

 

Le football semble plus épargné par les affaires de dopage…

 

Le football est le champion du monde de l'omerta. Récemment, l'international belge Bertrand Crasson, qui jouait à Naples de 1996 à 1998, raconte qu'il subissait deux perfusions par semaine. Bien entendu, les entraîneurs de la période en cause réfutent l'existence de ces pratiques. Bortolo Mutti, à la tête de l'équipe en 1997, se défend en précisant : "Les perfusions ce n'était pas du tout notre culture, ni la mienne ni celle de mes collaborateurs." Afin de minorer les déclarations de Crasson, un autre entraîneur de cette époque a indiqué de "ne pas se rappeler ce joueur. C'était il y a tant d'années. Il n'y avait absolument aucun dopage à Naples. Ne plaisantons pas". C'est extraordinaire, ils ne savent jamais rien ! Pourtant, le passé est éclairant de l'avenir. Ainsi, en 1958, un ancien footballeur de Bologne, Gerardo Ottani, qui va devenir médecin, mène une enquête dans le Calcio. Elle montre que 27 % des footballeurs italiens consomment des amphétamines, 62 % des stimulants du cœur ou de la respiration et 68 % des hormones et des stéroïdes anabolisants. Nous sommes en 1958 ! À seulement un match et deux entraînements par semaine. Aujourd'hui, en 2011 les footballeurs professionnels sont à deux trois matches par semaine et au minimum à un entraînement par jour, et ils seraient à l'eau de source ?

 

L'affaire de la Juve avait pourtant fait grand bruit.

 

La médiatisation de cette affaire a été moindre que dans le cyclisme par exemple. La presse française n'a pas enquêté très loin, alors que pour le cyclisme, certains vont même fouiller dans les tiroirs de l'UCI. Une icône comme Zidane a été épargnée. La presse ne lui pose pas de question, personne ne veut au choix, lui déplaire, le heurter ou l'indisposer de peur de ne pouvoir l'interviewer à nouveau. Dans une émission, Johnny Hallyday avait déclaré qu'il se faisait changer le sang deux fois par an dans une clinique "sur les conseils de mon ami Zizou", qui y allait lui-même deux fois par an. Un journaliste a osé poser la question à Zidane, qui a juste rétorqué qu'il n'était jamais allé dans cette clinique accompagné de Johnny. C'est un peu léger comme défense…

 

Propos recueillis par Maxime Goldbaum
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